Traductions, traductrices, traducteurs, interprètes et subversion
En sciences politiques, la subversion est souvent connotée négativement, car elle impliquerait une forme de destruction. Cependant, la subversion peut aussi servir à modifier positivement les valeurs d’un système socio-politique ou religieux en les remettant sainement en cause. Par exemple, les poèmes en traduction subversive produits lors de la période décabriste au début du xixe siècle étaient destinés à renouveler le système tsariste en place. Certains poèmes illustraient les injustices du système et d’autres faisaient la promotion d’une constitution libérale (Baer 2010). Les traducteurs russes n’étaient pas neutres; ils étaient engagés dans une lutte qui faisait appel à leurs ingéniosité et créativité. Leurs traductions subversives servaient d’alternative au système dominant et d’amorce à une révolution du mode de pensée. C’est cette acception plutôt positive du terme qui a tendance à se retrouver dans les recherches traductologiques portant sur la relation entre traduction et pouvoir.
La question de la subversion a de fait été abordée dans les études sur les relations entre traduction et pouvoir (Tymoczko et Gentzler, 2002), mais aussi dans celles qui s’intéressent aux liens entre traduction et résistance (Tymoczko, 2010).Toutefois, la subversion n’a à ce jour pas encore fait l’objet d’une réflexion approfondie et focalisée, tout en étant large. Or, les courants de recherche traductologiques abordant la subversion ne se limitent pas à la politique et à la littérature, mais englobent plus généralement tout champ qui implique la culture (Álvarez et Vidal, 1996) et qui exige de la créativité. Ils partagent l’idée qu’on ne peut comprendre la traduction sans tenir compte de la subjectivité des traducteurs et de leurs traductions et que les traductions peuvent être manipulées dans un dessein subversif (voir p. ex. Lefevere, 1992). Contrairement au mythe de la traductrice et du traducteur neutres, soumis et dociles, les sujets traduisants, comme tout être humain d’ailleurs, sont empreints d’une subjectivité inscrite dans la culture et dans l’histoire (Fournier-Guillemette, 2011). Des chercheurs ont constaté la traduction subversive pratiquée dans l’ex-URSS ou dans l’Italie fasciste (Delisle 2003), à l’époque victorienne au Royaume-Uni (Merkle 2010; O’Sullivan 2010), en Amérique latine (Bastin, Echeverri et Campo 2010) et en France à l’Âge classique (Ballard et D’hulst 1996), pour n’en identifier que quelques exemples. En traductologie, cet intérêt pour la subversion se manifeste ainsi surtout depuis le début des années 1990, et de diverses façons. L’heure est venue de développer une réflexion élargie sur la place de la subversion dans la traduction/interprétation et le rapport que les traducteurs/interprètes entretiennent avec les pratiques subversives de leur profession.
Chantal Gagnon, Université de Montréal
Wangtaolue Guo, University of Alberta
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